La dépression post-natale ou quand le lien mère-enfant est altéré
Le temps du post-partum suscite un « important remaniement psychique marqué par la remontée de l'enfance et le transfert de ses éléments les plus inconscients ». Dans le meilleur des cas l'on peut dire que la naissance de la mère accompagne la naissance de l'enfant, dans un autre cas, le sentiment vécu est celui d'un effondrement. La dépression post-partum touche 10 à 20% des jeunes mamans. Ses signes majeurs sont : un manque d'intérêt et des sentiments négatifs à l'égard de l'enfant ; une difficulté à prendre soin de soi-même, à dormir, à s'estimer, une perte d'intérêt en la vie, une apathie, des pensées de mort. Focus sur la dépression post-partum sous l'angle du lien entre la mère et son enfant.
Dans ce lien ténu entre mère et enfant, de la grossesse à l'éducation en passant par le maternage, la communication émotionnelle semble essentielle. Si des recherches neurologiques ont montré que les régions du cerveau où siègent les émotions, se développent in utero, la transmission des émotions est encore peu reconnue y compris en psychologie. D'aucuns affirment pourtant que « le fœtus éprouve déjà des émotions profondes avant la naissance. (…) Lorsque deux êtres vivent dans un tel degré de proximité, l’affectivité du premier se transmet au second par un grand nombre de « canaux ». Les chercheurs ne savent pas encore très bien comment l’on arrive à ressentir la colère, la satisfaction ou la peur d’un autre individu. (...) Ses émotions se manifestent aussi de façon beaucoup plus physique. » [1] C'est ainsi que le bain émotionnel dans lequel évolue le fœtus ou le nouveau né, imprime comme une saveur à la vie, une toile de fond aux expériences qu'il vit et vivra[2]. Une mère coupée de ses élans de vie, transmet « organiquement » une vision du monde désenchantée.
Gros plan sur l'accouchement :
Pour Aurélie Caudullo[3], l'accouchement et la manière dont il se passe a une influence directe sur la dépression post-partum « mon travail commence par demander à mes patientes un récit de leur accouchement ». Ceci précisément parce que « La naissance n'est pas l'accouchement. C'est par facilité de pensée que nous croyons à une trame naturelle conduisant de manière linéaire du développement de l'embryon et du fœtus pour aboutir, au-delà de la mise au monde de l'enfant, à sa naissance. Cela est inexact. » La naissance ainsi définie est d'avantage un processus psychique d'intégration de la nouveauté, de changement de statut, de rythme de vie, etc. De plus, la naissance nous invite à découvrir une dimension d'existence inouïe (…) : celle de la vie en son état encore originel. À travers le nouveau-né, nous entrevoyons en fait directement ce que nous sommes essentiellement. »[4] … et nous l'accueillons comme nous pouvons, dans l'enthousiasme, l'effroi ou la désespérance.
- Discussions autour de la péridurale
Celle ci apporte un réconfort immédiat pendant l'accouchement. Elle camoufle peurs et douleurs qui parfois se réveillent ensuite sous forme de détresse. Et coupant la mère d'une partie de ses sensations et émotions, elle peut aussi distendre le lien mère-enfant et déclencher une sensation d'étrangeté par rapport à son bébé. C'est pourquoi de nombreuses approches de la préparation à l'accouchement, proposent un apprentissage de la gestion du stress, des peurs et de la douleur. Traverser une phase de désespérance aide parfois à accepter le neuf.
- Séparations mère-enfant
A l'hôpital, les nuits en pouponnières sont parfois proposées comme un confort : il s'agit de protéger la femme telle qu'elle était avant d'être mère. Pourtant, séparer la mère et l’enfant à l’hôpital peut être extrêmement traumatisant. Certaines femmes font état de tristesses incomprises qui sont parfois élucidées comme un manque de lien tactile avec leur nourrisson. De son côté l’enfant a le droit d’avoir des relations avant la naissance. Il a le droit d’être considéré comme une personne à part entière, avec laquelle on peut déjà entrer en contact.
Après la naissance, un lien multidimensionnel :
- Le contact : essentiel
« Les heures qui suivent immédiatement la naissance sont déterminantes pour notre vie future. Une naissance prématurée peut s’expliquer par divers facteurs. Dans ce cas, l’homme est plus démuni que d’autres mammifères, et il n’a pas la force de se rapprocher de sa mère. L’enfant est donc obligé de communiquer pour établir un lien avec sa mère. (…) Nous savons depuis les années trente qu’un enfant qui n’a pas bénéficié d’un premier contact postnatal régulier en gardera les séquelles toute sa vie. »[5] « on ne peut pas compenser son manque d’Être dans l’Avoir. Or, l’Être se constitue dans une relation proximale avec la mère dans les débuts de la vie. »[6]
- Une dépendance particulière
Selon le psychanalyste suisse Franz Renggli l'être humain présente la forme de relation mère-enfant qui le rattache au groupe de primates pour lesquels on peut considérer que le « nid » post-natal est le corps de la mère. Le petit primate s’agrippe à la fourrure de sa mère, qui le porte pendant toute la première période de sa vie. Mais la longueur de nos poils ne permet plus à nos bébés de s’agripper à nous... D’après l’archéologue britannique Timothy Taylor, c’est à l’époque d’Homo Erectus que les femmes « auraient inventé le premier artefact vraiment humain : le porte-bébé, un morceau de peau animale noué de façon à former une poche portée en bandoulière (que certains peuples utilisent toujours). »4 C'est ainsi qu'au fil de l'évolution humaine, un bébé qui pleure s'attend légitimement à ce qu'on « s'occupe de lui et et si on ne le fait pas, il a tendance à désespérer de l’humanité. »[7]
Le petit d'homme est dans une dépendance toute particulière d'abord incapable de se déplacer pour répondre à ses besoins, c'est à sa mère d'avoir envie de prendre soin de lui.
- Avoir été maternée
« N'ayant pas été maternée moi même, il m'était difficile de donner quelque chose que je n'avais pas reçu. J'avais envie de le faire et j'étais en difficulté »[8]. Au moment de la naissance, la mère touche à sa propre naissance à un niveau subconscient ou inconscient. L'histoire cherche parfois à se reproduire : des mères dont l'enfant intérieur est blessé peuvent avoir tendance à rejeter leur enfant réel. Comment accueillir les pleurs de son bébé si les nôtres ne l'ont pas été ? « Il est fondamental d'être accompagnée pour que les difficultés ne se cristallisent pas et pouvoir saisir la seconde chance d'une réparation possible de sa propre histoire. »[9]
Le poids social
- Culpabilisation et incompréhension
De l’hôpital au supermarché il y a un poids social sur ce que les mères doivent faire. Tandis que les traditions se perdent, les jeunes mères reçoivent des conseils à tout va, chacun mettant son grain de sel dans sa manière de faire, de la boulangère à la meilleure amie. Ces conseils à tout va, engendrant parfois une perte des repères personnels et un manque de confiance en son ressenti. Pour échapper au regard social culpabilisant, les mères dépressives adoptent parfois des gestes automatiques, sans ressentis, pour sauver la face. Elles font « comme si » elles aimait leur enfant. La dépression post-partum est rarement et tardivement diagnostiquée. « de nombreuses femmes arrivent à l'hôpital avec des idées suicidaires, après des mois de souffrance à voir leur vie s'écrouler. »[10]
- Facteurs sociaux d'isolement, précarité affective et matérielle
« Quand j'ai réalisé la présence que demande le fait d'être une mère, je me suis sentie incapable »[11] Pour une jeune maman fragile psychologique, physiquement ou en situation matérielle fragile l'incroyable ouverture de l'inconscient que sont la grossesse, l'accouchement et l'accueil du nourrisson peut dépasser sa capacité à contenir et gérer les informations nouvelles. C'est parfois une trop grande responsabilité que d'être seule responsable d'un petit du collectif : un soutien familial, amical, tribal, etc. est d'une grande importance. Or 15 à 20% des femmes n'ont personne a qui parler, se sentent seules.
« On reproche trop souvent aux mères de ne pas avoir fait ci ou ça. Si les mères ne sont pas parfaites, on leur tombe dessus. Or la maternité est un acte qui ne peut avoir de sens que s'il est libre. S'il ne l'est pas, la femme se méfie, elle se sent contrainte et surveillée, donc inquiète. Soutenir les mamans, c’est donc les soutenir dans leur liberté, car c'est seulement dans la liberté que l'on trouve les mots d'amour. »[12]
Chloé di Cintio
[1]Ludwig Janus, médecin psychanalyste et psychothérapeute à Heidelberg, il enseigne à l’Institut de Psychanalyse de Francfort.
[2]Pour approfondir ce point, cf. Jean Liedloff, Le continuum concept – à la recherche du bonheur perdu, 1975
[3]Aurélie Caudillo est professeur de yoga et accompagnatrice de mères en dépression post-partum
[4]Jean-Marie Delassus, fondateur du premier service de maternologie à Saint-Cyr-l'École
[5]Ludwig Janus
[6]Aurélie Caudillo
[7]Roger Lécuyer, Comprendre l’intelligence des bébés, Dunod, Juin 2002
[8]Aurélie Caudillo
[9]Christaine Lewin, co-fondatrice de l'Ecole de Psychologie Biodynamique
[10]« La dépression post-parum », film documentaire, Arte.
[11]Aurélie Caudillo
[12]Jean-Marie Delassus